Les nouvelles dimensions de l'imagerie médicale (2024)

Cela commence comme un conte pour enfants. Un jour, l'intelligence artificielle détectera la maladie d'Alzheimer sur les images d'un scanner avec plusieurs années d'avance sur les signes cliniques. Elle repérera mieux les suspicions de cancer du sein sur les mammographies que la majorité des radiologues, de même que les pneumonies sur les radios thoraciques. Et cela se termine par le cauchemar d'un Google aspirant les données médicales de 2.600 centres de soins et hôpitaux de l'association à but non lucratif Ascension Health sans que ses patients en aient été informés.

Tout aussi réelles que la polémique récente, ces fictions n'en sont plus. Notamment depuis ces quatre dernières années. Mais les grands acteurs de l'imagerie médicale, aux avant-postes depuis la découverte des rayonsX par le physicien allemand Wilhelm Röntgen il y a cent vingt-quatre ans, y ont peu imprimé leur marque.

La percée des nouveaux entrants

L'inventeur du premier algorithme d'analyse d'images médicales à avoir été autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) américaine, il y a deux ans? Arterys, une «start-up» fondée à Stanford pour assister les cardiologues. A qui s'adresse l'Ecole de médecine de New York lorsqu'elle veut décupler la vitesse de l'imagerie par résonance magnétique (IRM)? Facebook. Les partenaires du tout nouveau centre d'imagerie intelligente de l'université de San Francisco? Nvidia, le spécialiste des microprocesseurs graphiques, et une start-up britannique, Kheiron.

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Siemens Healthineers, General Electric, Philips et Canon, qui dominent plus des trois quarts d'un marché mondial de l'imagerie médicale estimé à une vingtaine de milliards d'euros (en y incluant la radiologie interventionnelle), n'ont pourtant pas raté le virage de l'intelligence artificielle (IA). «L'IA est, pour l'instant, qualifiée de 'faible': elle assiste le radiologue sur des tâches précises et étroites, elle ne se substitue pas à lui. Les industriels l'utilisent pour améliorer la performance de leurs équipements ou proposent des applications conçues par des tiers sur des 'places de marché' dans le cloud, sur le modèle de l'App Store», explique Nicolas Le Corre, auteur d'une étude de Xerfi Precepta sur le secteur à l'horizon 2022.

Siemens Healthineers, Philips et GE Healthcare figurent, en effet, parmi les plus gros déposants de brevets d'AI, selon le cabinet CB Insights. Ils ont réorienté la majorité de leurs dépenses de Recherche & Développement vers le logiciel. Rien que l'an dernier, le premier a installé 1.800 informaticiens dans un centre à Bangalore, en Inde, et le second a annoncé l'ouverture d'un « centre d'expertise mondial » en IA à Suresnes, en région parisienne.

La bataille de l'image… et de la valeur

Les 16.000 images prises à la minute par les 4millions d'appareils de GE, et les 300millions de clichés dans les bases de données de Siemens devraient constituer en soi une solide barrière à l'entrée. C'est, en fait, l'inverse. Les 60milliards d'images médicales produites chaque année aux Etats-Unis, une fois anonymisées, sont une matière première inespérée aux yeux de la Silicon Valley. Elle a, en effet, été la plus en avance sur les réseaux neuronaux dits « antagonistes génératifs », capables de créer des oeuvres d'art, et qu'elle veut aujourd'hui éduquer à la prise en charge des maladies. Dès 2015, IBM n'a pas hésité à débourser 1milliard de dollars pour mettre la main sur une bibliothèque de 30milliards de radios.

La médecine de précision qui doit en émerger représenterait un débouché mondial de 8milliards de dollars d'ici à 2027, contre 120millions en 2017, estime Frost & Sullivan. Editeurs de logiciels (Arterys, Infervision), fabricants de systèmes intelligents (Analystics 4 Life, Butterfly) et distributeurs de logiciels dans le cloud (Blackford, EnvoyAI): la quarantaine de start-up qui s'intéressent au secteur - dont plusieurs françaises (Gleamer, Hera-Mi, Incepto, Nurea, Therapixel) - ont eu accès l'an dernier à une partie des 2,5milliards de dollars de financements pour l'IA appliquée à la santé, selon CB Insights.

Entre leur agilité et la puissance des géants de la technologie américaine, la mécanique d'une future disruption est en place alors que les industriels de l'imagerie bénéficient encore d'un marché en croissance régulière (+3% par an d'ici à 2022, d'après Xerfi). «Les acteurs historiques et ces nouveaux entrants entretiennent pour l'instant des relations d'interdépendance et de collaboration. Mais le rapport de force va se modifier au fur et à mesure que la valeur ajoutée migrera des équipements vers les logiciels et les applications d'IA», observe Nicolas Le Corre.

Nouvelle rupture du rythme d'innovation

Le rythme de l'innovation va s'accélérer à nouveau pour des acteurs qui dépensent entre 9% et 10% du chiffre d'affaires dans la R & D. Il aura fallu plus de soixante-dix ans entre le moment où Anna Röntgen vit «(sa) mort» dans la radiographie de sa main par son découvreur de mari à la fin du XIXesiècle et celui, à la fin des années 1960, où les ultrasons rendirent le corps plus transparent et ses organes visibles. Quelques années seront encore nécessaires pour le visualiser en trois dimensions grâce à l'invention du scanner par… l'éditeur des Beatles (EMI)!

L'IRM, l'apport de la scintigraphie qui trace le métabolisme, les capteurs numériques, et l'essor des thérapies guidées par l'image, qui a révolutionné la cardiologie, ont scandé les progrès des quatre dernières décennies. Mais quand d'anciens élèves du Massachusetts Institute of Technology (MIT) mettent au point un échographe à 2.000 dollars fonctionnant sur un iPhone, soit moins d'un dixième du prix des appareils vendus aux hôpitaux, le secteur bascule dans une nouvelle dimension. Les cyber-héritiers, en quelque sorte, d'une Marie Curie qui sauva nombre de vies sur le front de la guerre 1914-1918 avec ses «petites Curies», des ambulances radiologiques de son invention.

Le syndrome du hardware

La course technologique, qui se concentrait sur la performance des équipements, change de nature au moment où elle est de moins en moins bien rémunérée. Les pressions budgétaires ont fini par propager aux fabricants le syndrome de la déflation bien connu du hardware grand public, entretenu par la concurrence asiatique, notamment chinoise. De 2012 à 2016, les prix ont baissé en moyenne de 1,4% par an en Europe, constate McKinsey.

D'un nouvel handicap, les industriels font cependant une arme, en changeant leurs relations avec des donneurs d'ordre hospitaliers désireux de maîtriser leurs coûts. «Les contrats à long terme mettant à disposition des appareils, renouvelés périodiquement, comprenant des services de maintenance, de formation, et des projets de recherche, comme celui conclu en 2016 pour douze ans par Philips avec les Hospices Civils de Lyon, se multiplient. Ils ancrent un peu plus les fabricants au coeur de l'écosystème», détaille Nicolas le Corre, chez Xerfi. Ils devraient y gagner en récurrence à long terme de leurs revenus ce qu'ils y perdront en génération de cash-flow à plus court terme.

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Les deux anciens conglomérats européens débarrassés de leurs vieux oripeaux (téléviseurs, semi-conducteurs, informatique, lampes) se retranchent en outre dans la niche à plusieurs milliards d'euros de l'imagerie interventionnelle, à plus forte croissance que la moyenne (de 4% à 9%). Leader dans les équipements hors ultrasons, Siemens Healthineers a étendu son expertise à la robotique par l'acquisition de la start-up américaine Corindus. Numéro1 du secteur en cardiologie, Philips a mis dans son panier Volcano et Spectranetics, en quatre ans pour, devenir un spécialiste du matériel nécessaire aux angioplasties (cathéters, ballons, lasersetc.). Une façon de répondre à la question: qui acceptera d'être opéré par Google ou Facebook?

Chiffres clefs

Siemens Healthineers, en euros en 2018-2019 (exercice clos le 30septembre)

Numéro1 mondial de l'imagerie médicale hors radiologie interventionnelle

Chiffre d'affaires: 14,5milliards

Résultat d'exploitation: 2,45milliards

Marge opérationnelle: 16,9%

Bénéfice net: 1,59milliard

Effectif: 52.000 employés

Philips, en euros en 2018

Numéro3 mondial de l'imagerie médicale, hors radiologie interventionnelle dont il est leader mondial.

Chiffre d'affaires: 18,1milliards

Résultat d'exploitation: 1,72milliard

Marge opérationnelle: 9,5%

Bénéfice net: 1,1milliard

Effectif: 77.400 employés

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